Lapsus : comment apprendre de vos erreurs ?

Marre de faire des lapsus ? Ce billet est pour vous ! On ne fera pas ici de la psychologie de comptoir sur ce que voulaient dire certaines personnalités politiques sur tel ou tel plateau TV et encore moins sur les insinuations freudiennes à caractère sexuel. Non, on va parler linguistique, on va parler de langues qui fourchent et de ce que nos erreurs nous apprennent sur le langage.

Les lapsus. On a toustes vécu cette situation au moins une fois. Par exemple, pas plus tard que le mois dernier, je disais à mes étudiant-es avant la fin du cours « Allez, dernière diapo et après je vous lèche ». Mince, raté. Je voulais dire je vous lâche ou peut-être je vous laisse, je ne sais plus. Silence dans la salle, la honte m’envahit, je rougis puis éclat de rire général. Mais il ne faut pas se laisser abattre, on peut toujours apprendre de ses erreurs à l’oral, surtout quand on est linguiste !

Le lapsus, c’est une erreur qu’on fait involontairement à l’oral (lapsus linguae) ou à l’écrit (lapsus calami). J’insiste le caractère involontaire, ce ne sont pas jeux de mots (calembours, contrepèteries etc.). On va parler ici des lapsus à l’oral, à l’écrit beaucoup de ces lapsus sont dus à l’utilisation des claviers (fautes de frappe, correcteur automatique etc.)

Les lapsus sont de différentes nature. Déjà, le lapsus ne porte pas forcément sur un mot. Dans le corpus de Rossi et Peter-Defare (1998)1 les lapsus portent principalement sur les sons (65%) puis sur les mots (30%) et enfin les syllabes (3,2%).

Ensuite, le lapsus c’est pas forcément remplacer un mot ou un son par un autre, même si ce sont bien les substitutions qui prédominent (65%). Il y a aussi les insertions et les omissions (21,3%), les interversions (6,8%) ou encore les amalgames (4,2%).

Le cas le plus courant, c’est la substitution d’un mot, d’un son par un autre. Dire par exemple, « Je déclare la séance close » au lieu de déclarer la séance « ouverte » est une substitution de mots. C’est la même idée quand on substitue des sons entre eux comme dire le « Le mois de Marche » au lieu du mois de « Mars ».

On peut aussi insérer ou omettre des sons ou des mots. Par exemple, si je dis « Envoie le praître » (envoie le prêtre) au lieu de « paître », j’ai inséré le son [ʁ]. Si je dis « geler les fonctionnaires » au lieu de « geler le point d’indice des fonctionnaires », c’est une omission de mots.

Les interversions, c’est quand deux mots, deux sons échangent de place. Par exemple, la dernière fois en parlant des parcours majeurs et mineurs à la fac, j’ai interverti les syllabes ce qui a donné les parcours de « maneur et de mijeur ». Même idée avec les sons ou les mots.

Enfin, le mélange des mots (haplologie), bah ça marche que sur les mots vu qu’ils fusionnent en un seul mot. C’est l’exemple que je donnais au début où le mot « lécher » était en fait le mélange de « laisser » et « lâcher ».

Que nous apprennent ces erreurs ? Figurez-vous que nos lapsus sont révélateurs de la cuisine cognitive du langage, c’est-à-dire comment notre cerveau verbalise nos pensées. Pour parler, il faut des ingrédients (les unités linguistiques) puis suivre différentes étapes (niveaux de traitement linguistiques) de la recette du langage. Reprenons l’exemple personnel du début :

  • Étape 1 : conceptualiser (dans sa tête). Bon, l’heure tourne, il faut que je laisse les étudiant-es partir pour ne pas causer de retard.
  • Étape 2 : Verbaliser (dans sa tête). « Allez, dernière diapo et après je vous laisse/lâche ».
  • Étape 3 : Articuler. « Allez, dernière diapo et après je vous lèche ».

Mince, il y a un couac entre l’étape 2 & 3. Mais que s’est-il passé ? Pendant l’étape 2, il a fallu aller chercher les bons ingrédients, au bon moment et au bon endroit. L’erreur porte ici manifestement sur les mots « laisser », « lâcher » et « lécher » car le reste de la phrase est tout à fait grammatical et interprétable.

Au moment de verbaliser le concept de « laisser partir pour pas causer de retard », deux mots sont des candidats sémantiques possibles car leur sens dans ce contexte est le même : « laisser » et « lâcher ». Malheureusement pour moi, un troisième candidat a été activé car sa forme sonore est proche : « lécher ».

Le troisième candidat est évidemment l’intrus, car son sens n’est pas le bon. Cette erreur arrive en bout de chaîne, non pas parce que le mot se trouve à la fin de la phrase mais parce que tout ce qui précède est correct.

En fait, le lapsus n’est pas hasardeux ou aléatoire. J’ai remplacé un verbe à la 1ère personne du présent par un autre verbe à la même personne, au même temps et au même mode. Là où ça coince, c’est au niveau de la sélection de la forme sonore. Il y a eu une fusion entre la forme sonore des deux candidats sémantiques « lai-sser » et « lâ-cher ». Manque de bol pour moi, les signaux nerveux ont atteint mes articulateurs et ma phrase est déjà finie.

Fort heureusement, nous pouvons corriger ces erreurs rapidement grâce au feedforward (la recette qu’on avait initialement prévue) et le feedback auditif (est-ce que le résultat est conforme à la recette initiale). Notre cerveau peut donc faire la comparaison entre ce que nous avions prévu de dire et ce que nous avons finalement dit. Bref, vous voilà paré-es à faire face à vos langages de fourche et à apprendre de vos erreurs !

  1. Rossi, M., & Peter-Defare, É. (1998). Les lapsus ou Comment notre fourche a langué. Presses universitaires de France. ↩︎

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